Les forêts séculaires des Carpates orientales, poumon vert de l'Europe, sont aujourd'hui cernées par des coupes rases entrainant l'érosion des écosystèmes, de la biodiversité et entravant les usages traditionnels et les services écosystémiques aux populations.
Une estimation scientifique menée au début des années 2000 des vieilles forêts dans les Carpates roumaines a montré qu'elles constituaient 3,5 % de la couverture forestière totale, ce qui est plus que dans tout autre pays d'Europe centrale. Elles sont le fruit d'une histoire millénaire et non linéaire étroitement liée au développement des activités humaines. Elles ont connu différents régimes d'exploitation inhérents à l'évolution des usages, des pratiques industrielles et des politiques de gestion.
La zone d'étude du projet a été choisie, dans la région des Maramures, pour sa longue histoire industrielle et la présence de la vieille forêt de Strâmbu Baiut, sur la rivière Lapus, classée en 2017 par l'UNESCO (Ancient and Primeval Beech Forests of the Carpathians and Other Regions of Europe, http://whc.unesco.org/en/list/1133/), qui s'étend sur une superficie de 598 ha. La présence de plusieurs grandes mines anciennes dans cette zone suppose des phases de pression très fortes sur la ressource ligneuse qui pourraient être comparables à l'actuelle. Or, tandis que les études se multiplient pour montrer le démantèlement récent et rapide des vieilles forêts, leurs dynamiques et trajectoires historiques restent peu connues. Cet état de fait résulte notamment d'une faible coopération entre les disciplines.
Pour éviter cet écueil et faire face à l'urgence, les projets FORETEXIL (AAP OASIC CNRS, 2017-2019), SAFE NATURE (MSH-Toulouse, 2018) et URGENSES (INRA, 2018) ont rassemblés un consortium interdisciplinaire de chercheurs français et roumains possédant l'expertise et le savoir-faire pour dresser un diagnostic rapide de ces vieilles forêts.
Ces projets visaient d'abord à caractériser leur état actuel, puis à reconstruire à très haute résolution spatiotemporelle, le long d'un gradient altitudinal, leur évolution holocène (en termes de structure, composition et cycles sylvicoles et sylvigénétiques).
Cette communication propose de présenter : i) la démarche interdisciplinaire originale mise en place, qui s'appuie d'une part sur la paléoécologie, l'archéologie, l'écologie historique et la dendrochronologie et d'autre part, sur une évaluation sociale, économique et écologique de la biodiversité et des services écosystémiques actuels ; ii) les premiers résultats obtenus sur l'identification des phases récentes et passées de rupture des socio-écosystèmes, le degré de naturalité des forêts... En effet, seule la compréhension de leur état actuel et ancien et des seuils de vulnérabilités au-delà desquels la perte de biodiversité et de l'équilibre paysager devient irréversible, aidera à orienter efficacement les politiques publiques de gestion locale à l'avenir.